29 mars 2010

Protection des réfugiés... jusqu'où aller?

Contexte : après plus de 10 ans à croupir dans les camps, l’heure du rapatriement avait enfin sonné pour les réfugiés. Les accords de paix avaient été signés et il s’agissait dorénavant d’assurer leur retour rapide afin qu'ils puissent voter aux premières élections démocratiques du Cambodge que l’ONU devait organiser au plus vite (UNAMIC 1992, puis APRONUC - 1993). 
Afin d’organiser ce rapatriement de manière ordonné, nous (le Haut Commissariat aux Réfugiés) avions établi dans les camps des « Staging Areas », c'est-à-dire des camps dans les camps. Une zone censée être plus sécurisée que le reste du camp, et dans laquelle se préparaient par vagues successives les centaines de réfugiés partant les jours suivants pour le grand voyage du retour. Bien que très pauvres, les réfugiés réunissaient alors toutes les objets de valeurs qu’ils avaient su garder/cacher durant toutes ces années d’errance. Cela naturellement ne manquait pas d'attirer tous les voleurs et autres bandits armés du coin, qui s’enquirent vite d’attaquer les Staging Areas la nuit pour dérober les pauvres gens de leurs derniers biens, la veille de ce retour tant attendu. Compte tenu du nombre d’incidents qui eut lieu, et du risque accru d’attaques, le staging area de Site B où j’opérai alors était sous surveillance 24/24H et 7/7 jours par les policiers du camp, armés de AK47 (la fameuse Kalachnikov). En tant que « Special Officer », en charge de la protection, j’entreprenais parfois des visites impromptues, y compris de nuit, pour m’assurer de la bonne tenue du système de protection. Pour ce faire, plusieurs fois dans la nuit, je prenais ma voiture et faisais un tour complet du camp, à vitesse très réduite, fenêtres grandes ouvertes pour être à-même d’entendre tout bruit suspect. Comme les militaires thaïlandais qui gardent le camp avaient eux-mêmes été attaqués par des bandits précédemment et leur véhicule mitraillé, je me devais de redoubler de précaution. En comptant, peut-être un peu naïvement, sur la protection que pouvait conférer le logo des Nations Unies sur ma voiture, je roulais alors très lentement, éclairant le logo sur la portière à l’aide d’une grosse lampe de poche que je tenais dans la main droite tout en tenant le volant de la main gauche (NB. en Thaïlande on roule à gauche).

Une nuit, vers minuit, alors que je faisais un de ces tours de surveillance, je décidai  d’aller inspecter de plus près la vigilance des policiers en charge de la protection du Staging Area. Je connaissais bien la procédure, s’ils repéraient une présence ils devaient sommer l'individu de s’identifier, au moins trois fois avant de tirer. Parlant Khmer, il ne me serait pas difficile de m'identifier. Je laissai donc la voiture sur la piste et commençai à m’enfoncer dans la nuit en direction des guérîtes des policiers. Pas d’appel. Je poursuivis mon avancée. Toujours pas d’appel. J’étais, je l’avoue, très nerveux car je savais que les policiers du camp, formés un peu à la hâte, n’étaient pas toujours très respectueux des règles, et que pris de panique, en craignant par exemple une attaque de bandits, ils pourraient très bien tirer sans sommations préalables. J'aperçus enfin la guérite dans l'obscurité, d’où n’émanait aucun bruit. Quelques foulées de plus et j’y parvins; j'y trouvai là deux policiers dormant paisiblement dans leurs hamacs. Autant pour la vigilance! La meilleure preuve du manquement à cette vigilance  dans le code militaire est si l’on peut s’emparer des armes. Je me baissais lentement et attrapai leur kalachnikov posées à terre sous le hamac, à l’un et l’autre, et les cachai derrière le mur de bambou. Je m’enquis alors de les réveiller. Ils sursautèrent et les yeux tout embués de sommeil sautèrent de leur hamac et se mirent au garde à vous, cherchant désespérément leurs armes du regard. Je les sermonnai, avec prudence toutefois, c'est-à-dire fermement mais avec une touche d’humour pour faire passer la pilule. La preuve avait été bien faite qu’ils avaient manqué à leur devoir de protection de la population.
Le lendemain, je me faisais très vertement reprendre par le cadre onusien responsable de la formation des policiers du camp: un très haut fonctionnaire de police néo-zélandais (Assistant–High Commissionner) qui avait été nommé pour cette mission spéciale. Il m’accusait d’avoir été totalement irresponsable, d'avoir fait preuve d'une immense insouciance, que ce que j’avais fait était extrêmement risqué, que j’aurais pu me faire descendre, etc. Il était clair que sa colère reflétait surtout le fait que j’avais fait ce que lui aurait du faire, et que les policiers qu’il formait avaient clairement failli à leur devoir. Il porta plainte aux autorités onusiennes, estimant que je m’étais immiscé dans ce qui relevait de sa fonction, etc. Mes supérieurs m’appelèrent pour écouter ma version des faits. La situation était délicate et diplomatiquement difficile à gérer pour eux, puisqu’il s’agissait d’un très haut gradé de la police néo-zélandaise prêté par son gouvernement contre un petit Protection Officer contractuel français. Après avoir écouté la version des faits des deux côtés, et sans doute en prenant en considération mes états de services des années précédentes, mes chefs se rangèrent à mon côté et défendirent mon action. J’avais certes pris des risques excessifs mais avais par la même démontré que la protection du camp n’était pas assurée comme il se devait et que, considérant les incidents sérieux de banditisme qui avaient eu lieu au cours des semaines précédentes, une telle inspection impromptue sur le terrain était justifiée. Je m’en tirais bien. Quelques semaines plus tard le haut gradé néo-zélandais démissionnait de cette mission et rentrait chez lui.
[Période: UNBRO (1987-1992), Site B/O'Trao]

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