29 mars 2010

Mémoire d'outre-tombes

Quelques jours à peine après mon arrivée sur le terrain, on me confia un 4x4, et on m’instruisit d’aller passer la nuit dans la maison louée par OHI dans le petit village de Tapraya, à quelques kilomètres de la frontière; ceci afin de pouvoir rejoindre au plus tôt le lendemain matin le camp de Site 2 situé non loin. Lorsque j’arrivai pour ma première nuit, en pleine campagne, dans ce qui était encore un tout petit village, mes collègues étaient absents, et il me fallut d’abord trouver la maison. Cela fait, on m’avait confié les clefs et je me débrouillai pour m’installer pour la nuit… Dehors, il pleuvait des cordes, et il faisait bien sombre dans cette petite maison de bois, éclairée seulement par quelques petites ampoules nues… Je m’endormis au son de la pluie martelant les tôles du toit. Mais au milieu de la nuit, je fus réveillé par des bruits bizarres… comme des murmures, lancinants, pareils à des pleurs, et qui allaient crescendo… Je tentai de comprendre, essayant d’analyser le contexte: je me dis qu’il devait s’agir de chants de bonzes psalmodiant dans la pagode non loin… mais les sons se rapprochaient, et ils envahissaient maintenant toute la campagne environnante, et n’avaient en fait rien d’humain!!! Ce ronron puissant « rooon…rooon » me sortit brutalement de ma torpeur, le cœur battant à tout rompre; seul dans cette maison, à ne rien comprendre de ce qu'il se passait!
Ce n’est qu’au matin, en échangeant avec des collègues, que ces derniers m'expliquèrent, hilares, que ces râlements de fantômes d’outre-tombe n’étaient autres que les coassements de crapauds buffles, heureux après la pluie, et s’appelant les uns les autres pour de bonnes séances d'accouplement. Un chant que j’aurais longuement loisir d’entendre par la suite lors de mes nombreuses nuits de terrain en période de mousson.  
  
[Période: Opération Handicap Internationale, Thaïlande (1985-1986)]

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