8 mai 2010

Les armes, les armes, les armes…

Siem Reap, jour de l’an 1993. Ce soir je suis invité par le Secrétaire d’Etat à la Défense français Jacques Mellick pour une réception au régiment de la Légion Étrangère ; il vient fêter le nouvel an avec ses troupes ; c’est sympa, mais ça me dit trop rien, je ne suis pas très "réceptions". Finalement, vers 22h00 je décide d’aller faire un tour à l’hôpital de la ville. Il est presque vide, tout le personnel est parti faire la fête, les patients qui le pouvaient sont rentrés chez eux, seuls les cas graves sont encore là. En déambulant dans les couloirs sombres et tristes de l’hôpital, j’observe sans trop savoir ce que je cherche. J’entre dans un service, et tombe sur un petit groupe de gens entourant une jeune fille. Celle-ci se tord de douleur. Manifestement elle vit un véritable martyr. Quand on connaît le stoïcisme traditionnel des Khmers, on sait reconnaître quand ils ont atteint les extrêmes de la douleur. A ses cotés, sa maman est transie de chagrin. Je l’interroge ; elle me raconte : « on ne sait pas ce qui s’est passé... nous étions dans la maison, en train de manger, quand soudain la petite s’est effondrée, tordue de douleur... on s’est rendu compte alors qu’elle venait de prendre une balle perdue dans l’aine… ». Personne ne sait qui a tiré ni pourquoi, tout ce que l’on a compris c’est que la balle a traversé le mur de bois de la maison avant d’atteindre la petite fille. Un médecin passe, ausculte brièvement l’enfant, puis repart. Qu’il est dur de se sentir si impuissant face à de telles souffrances innocentes ! Je suis rentré à la maison la mort dans l’âme, avec encore moins l’envie de faire la fête. Le lendemain je m’enquis de la santé de la fillette ; elle était morte dans la nuit dans d’atroces souffrances…

Prison provinciale de Siem Reap (1993) (voir photos)  – J’effectue une de mes visites surprises de la prison, vérifie les dossiers, fais l’appel des prisonniers dans la cour, vérifiant qu’aucun détenu n’a disparu ou n’a été torturé. Dans le cas contraire, je demande des comptes au directeur de la prison et cherche les actions correctives , etc. Je passe ensuite aux entretiens confidentiels, en cellule privée, de quelques  prisonniers afin de vérifier par moi-même les détails et la véracité de leurs dossiers. J’interroge alors un jeune détenu de 19 ans : il est très sympathique, un peu timide mais souriant et je me demande ce qu’il a bien pu faire pour se retrouver ici. Il m’explique : « ben voila, c’était à une fête de mariage, on s’amusait bien, j’ai beaucoup bu, et alors que j’étais complètement saoul, j’ai pris la mitraillette de mon frangin, ...et j’ai tiré dans la foule. Je ne me souviens de rien, mais ...j’ai tué quatre personnes. Je suis condamné à 19 ans de prison ».

Site 2, Camp de Nong Chan (1988) : je passe à l’hôpital de Ban Sangne, pour enquêter sur une triste affaire dans laquelle un jeune enfant a été tué. L’enfant mort est là, dans les bras de sa mère, qui verse des larmes en silence. Son jeune garçon a toute la tête enveloppée dans un gros bandage au travers duquel pointe encore une grosse tache de sang. Le médecin hollandais m’explique que la moitié de la tête a été emportée par l’explosion et que même mort, il était préférable que la famille ne voit pas dans quel état est son visage. Je fais monter la maman, son fils défunt dans les bras, à coté de moi à l’avant du pick-up, et je la ramène doucement et en silence chez elle. Ces souffrances sont incommensurables, et je ne sais que lui dire… Je la dépose chez elle.
J'enquête, interroge des témoins, et on me raconte alors ce qu’il s’est passé : les parents avaient eu une petite querelle de voisinage, comme il n'est que trop fréquent dans les camps, compte tenu de l’extrême promiscuité dans laquelle les réfugiés (sur)vivent. Mais cette fois, pour se venger, le voisin a trouvé l'astuce: il a déposé une grenade, ostensiblement, dans le jardin de son voisin, sachant bien que le petit garçon de celui-ci ne manquera pas de jouer avec et de tirer la goupille…

[à suivre]


Période UNBRO - Site 2, Camp Officer / Security Coordinator

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