26 oct. 2010

Hanoï, 50 minutes…

Je dépose ma mobylette au garage pour sa maintenance mensuelle. J’ai 50 minutes de libre avant de la récupérer. Je vais donc pouvoir m’adonner à un de mes plaisirs favoris : m’asseoir à une terrasse, commander un café vietnamien, et simplement, tout simplement, observer la vie qui défile dans la rue.

Je trouve mon "observatoire" : un bout de trottoir que le bistrot a envahi de petites tables et chaises en métal et rotin. Je m’assieds, commande mon café, et commence à savourer l’instant; une exploration immobile, disons, une extrospection. Bien sûr, la "terrasse de café" n’a rien à voir avec une bonne terrasse de café de Paris ; ici une forêt de mobylettes parquées devant moi me sépare de la rue, mais la vue n’est pas bouchée, et le jeu peut commencer :

Les trottoirs étant tous encombrés de marchants ambulants, motos, bistrots, cireurs de chaussures et réparateurs en tous genres, les piétons déambulent sur la chaussée; dans tous les sens, et au beau milieu d’un trafic incessant et bruyant de mobylettes, voitures, camions, charrettes, et autre carriole en bois. De ce fait, le trafic n’est bien sûr pas linéaire, il est fait de zigzags incessants, chacun évitant l’autre, martelant l'espace de coups de klaxons.

Le cadre peu à peu s'estompe, et les yeux commencent doucement à se poser sur l’individuel : autant de vies qui se croisent, se mêlent, se faufilent, le temps d’un mot ou d'un regard.

Une jeune femme transporte toute sa "boutique" sur l’épaule ; deux larges plateaux de mets prêts à consommer, accrochés l'un et l'autre aux deux extrémités d'un fléau de bambou, qui ploie sous la charge. La démarche de la jeune femme est chaloupée, en résonance avec le poids, évitant ainsi de briser le fléau, comme de souffrir trop de l’épaule…

Une maman pousse une petite voiture en plastique depuis laquelle, assis au volant, son jeune bambin observe le monde.

Un jeune motard, sans casque, passe en trombe, tenant d’une main la bouteille de gaz posée derrière lui, qu’il va livrer.

Une femme, quinquagénaire, sous son chapeau conique, peine à pédaler tout en guidant son vélo surchargé de légumes. Elle est suivie d’une autre, puis d’une autre encore.

D’un côté et de l’autre de la rue, deux vieillards aux cheveux blancs, tout vêtus de noir, se reconnaissent, se saluent avec un sourire, et poursuivent leurs lentes progressions respectives.

Un papa, fier et heureux, se promène nonchalamment, son bébé dans les bras.
Un autre bébé dort sur l’épaule de sa mère, pendant que celle-ci papote avec la voisine.

J’ai beau avoir vécu 25 ans en Asie du Sud-est, toutes ces scènes et tous ces personnages qui défilent devant moi me sont encore autant de mystères : ce vieillard au béret basque, qui avance lentement courbé sur son passé, est-il un ancien héros de la guerre ? Est-il un vieux cadre du Parti ? La jeune étudiante en survêtement, au visage soucieux, s’inquiète-t-elle du prochain examen, ou de quelque situation familiale ou amoureuse?

Je ne cherche plus à comprendre, l'heure est au regard, simplement.

Un petit garçon, de 6-7 ans, se dirige vers sa grand-mère et se jette dans ses jambes; celle-ci se penche, l'entoure de ses bras et l’embrasse. Il repart jouer, les yeux brillants et le sourire aux lèvres.

C’est alors que je réalise…
Paradoxalement, ce qui émane de tout ce brouhaha infernal, c’est une certaine …paix.
Derrière le vacarme, la trépidation, la foule, il y a de l’amour, de la tendresse.
Goût de bonheur; à savourer sans modération.

Dans un petit échange de sourires avec la serveuse, je paie ma consommation, me lève, et pars le cœur léger et satisfait : la moisson a été bonne.

- Stéphane,
Hanoï, 13 mars 2010

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