20 janv. 2011

Mea Culpa du Bloggeur

Je me rends compte en relisant mes textes ci-dessous que, sans le vouloir, je contribue à renforcer des clichés sur l’humanitaire : tous mes récits sont véridiques, mais ils ne relatent le plus souvent que des événements, somme toute, "exceptionnels", remplis d’une intensité qui n’est pas forcement l’intensité du vécu humanitaire  quotidien.  C’est normal, c’est quand même en partie  par ce besoin d‘exorciser ces instants que j’ai créé ce blog. Mais ne décrire que ces moments exceptionnels c’est courir le risque de faire croire au lecteur non averti que l’humanitaire ce n’est que cela. En vérité, le quotidien humanitaire, comme tout quotidien, connait  lui aussi sa routine ; cette même routine que j’avais tenté de fuir en France, et qui avait été un élément déterminant de ma décision de m’expatrier ! Certes la routine humanitaire se développe dans un contexte totalement différent, avec des activités qui peuvent, depuis l’Occident, sembler hors du commun, mais elle n’en reste pas moins une routine. Alors, parlons aussi de la routine !


La routine dans le travail peut parfois servir de réconfort à l’agent humanitaire ; en effet, le fait de changer sans cesse de milieux de vie, de langues, de pays, de cultures, etc., est parfois un facteur de stress assez déstabilisant. Retrouver alors une routine dans le travail rassure, réconforte et aide à réduire le stress. Tant et si bien que dès qu’on arrive sur un nouveau site ou dans un nouveau poste, on aura tendance à très vite chercher à établir une nouvelle routine à laquelle s’accrocher. Un peu comme ce voyageur qui a besoin d’emporter son oreiller partout où il va pour mieux dormir, la routine permet parfois à l’agent humanitaire de retrouver ses marques où qu’il soit.

Les activités de routine dans le travail d’aide au développement, bien que moins spectaculaires que les interventions d’urgence à haute intensité émotionnelle, peuvent néanmoins être tout aussi exaltantes que l’action d’urgence [1]. En vérité, il  peut être tout aussi gratifiant d’aller visiter des paysans chez eux, partager leurs désirs d’avenirs et leurs espérances, et contribuer à la réalisation de leurs projets, que de sauver des vies lors d’une opération d’urgence. La quantité d’adrénaline produite n’est certes pas la même[2], mais c’est peut-être là ce qui fait la différence entre les plaisirs courts et les joies profondes. 
La routine, même dans le secteur du développement, a du bon : en effet elle témoigne de la durée et apporte tout le florilège d’avantages de cette dernière : en restant longtemps en un lieu, on connait mieux les gens, leurs besoins, leurs capacités, leur cultures, etc., et l’on est alors plus a-même d’intervenir de la manière la plus appropriée.  Ainsi donc si la visite ponctuelle d’un occidental au domicile d’une famille pauvre d’un pays du Sud est certes une expérience humaine riche et belle, souvent mutuelle ; la visite de routine d’un expat’ qui connait bien la population, leur parle dans leur langue, en toute empathie, est d’une richesse encore plus grande. Passé le côté "folklorique", certes très agréable, des premières rencontres, de la découverte de l’autre, des sourires, du partage du repas chez l’habitant, des rires, etc., le besoin se fait d’une relation plus profonde, d’une toute autre nature. Une relation où les regards et les gestes communiquent tout autant que les mots ; où les yeux de son interlocuteur se remplissent parfois de larmes discrètes et pudiques, mais aussi que l’aveu de rêves fous d’avenir font briller plus intensément…

Et puis, bien sûr, il existe aussi dans le travail humanitaire comme partout ailleurs, une routine bien moins exaltante, et beaucoup plus ingrate : c’est celle par exemple des tâches administratives et bureaucratiques tout aussi laborieuses qu’indispensables : celles des rapports financiers et autres rapports en tous genres, souvent ressentis comme des "corvées". Les interventions dans le domaine du développement sont pratiquement toutes soumises à l’approche du "cycle du projet", dans lequel chaque étape contient aussi son lot de "corvées". C’est comme ça, et à moins de retomber dans un amateurisme dangereux qui ne ferait place qu’au plaisir et à l’action sans avoir à rendre compte à qui que ce soit, il est difficile d’échapper à cette routine-là.    

Ces explications faites, j’ajouterai dorénavant dans ce blog des descriptions de "routines humanitaires" aux récits d’événements plus exceptionnels, afin d’essayer de faire un peu mieux la part des choses. CQFD. 

--- 
[1] Notons aussi au passage que même l’action d’urgence peut tomber dans la routine dès lors qu’elle est répétitive et que cette urgence fait partie intégrante du profil de poste.

[2] Alors - c’est inévitable - et je savais que ce moment viendrait dans ce blog, il faut bien sur distinguer l’aide d’urgence à l’aide au développement. Le terme "humanitaire" a toujours été ambigu réunissant des concepts et des interventions souvent très lointains les uns des autres. En termes de vécu, la différence peut être énorme. Pourtant, combien même il est vrai que les activités des opérations d’urgence  et celles du monde du développement sont très différentes, il importe de souligner le lien essentiel qui doit toujours subsister entre l’un et l’autre, entre la réponse à l’urgence et celle du développement à long terme. Ainsi je me souviens de mes missions au sien du Haut-Commissariat aux Réfugiés, au cours desquelles l’intervention d’urgence devait toujours s’inscrire dans une perspective à long terme, allant parfois jusqu’au développement durable. Ceci afin de répondre de manière très pragmatique à deux exigences : répondre au plus vite et au mieux aux besoins urgents, tout en instaurant dès le départ un système d’aide prenant en compte les risques de syndrome de dépendance qui réduirait les chances de reconstruction durable. Une des premières conséquences graves des catastrophes, et de la situation de sinistrés en général, est le fait que les victimes souffrent toujours d’être soudainement privées du contrôle de leur vie. L’aide humanitaire, si elle est mal guidée, peut renforcer ce sentiment en les jetant dans une dépendance où leur sens de l’initiative, leurs compétences, leurs expériences sont ignorées, et où ces gens sont simplement considérés comme des « assistés ». Ainsi donc il importe dès la situation d’urgence que les sinistrés soient au plus vite recensés: médecins, infirmières, ingénieurs, et toutes professions confondues, doivent être identifiés au plus vite et intégrés au sein des équipes humanitaires étrangères intervenant sur le site. Non seulement, cela permet de pourvoir au besoin urgent de personnel qualifié, mais cela permet surtout à ces gens de retrouver – nous y re-voilà - une routine rassurante après le drame, qui va les aider à se reconstruire. Cela leur permet en plus de recevoir à nouveau un revenu [rémunérés en espèces ou en rations alimentaires, selon les possibilités locales de l’agence en question] recouvrant ainsi leur dignité par la reprise du contrôle de leurs vies.  Ainsi, cette implication des victimes au plus tôt possible de l’opération de secours est autant de gagné pour la reconstruction car elle permet d’éluder le syndrome de dépendance qui nuirait à long terme à l’esprit d’initiative local nécessaire à la reconstruction du site.

Cette petite parenthèse n’était là que pour souligner que même s’il est vrai que - dans le vécu - l’humanitaire d’urgence à celui du développement  sont très différents, il est important de ne pas scinder l’un et l’autre de manière trop catégorique. 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire