4 juin 2011

Land Cruiser, ô mon Land Cruiser !

(Acte 1)
Surin, Thaïlande - Un soir que je sortais du supermarché les bras chargé d’emplettes, j’eus la désagréable surprise de constater que ma voiture avait disparu!  Je me précipitai à la sécurité du magasin et priai les agents d’appeler la police pour demander de placer immédiatement des barrages sur les routes menant à la frontière.  Je comprenais en effet très bien ce qu’il se passait: ma voiture avait été volée, et à cet instant précis les voleurs devaient être en train de filer droit sur la frontière cambodgienne, pour la traverser, puis revendre la voiture au Cambodge. Le schéma était classique[1]. Et puis ma voiture était un gros Land Cruiser Toyota, très prisé dans le pays voisin aux routes si cabossées. C’était ma voiture de fonction, un outil de travail indispensable puisque je faisais entre 80 et 160 km par jour pour rejoindre les camps de réfugiés de Site B et O’trao (selon les jours); une longue route dont une grosse partie se faisait sur des pistes très accidentées, inondées et embourbées en période de mousson. Ce 4x4 n’était donc pas un luxe de bobo citadin mais bel et bien une nécessité. En outre, en tant qu’officier de sécurité, en stand-by permanent, je disposais de la voiture 24H/24H. Les Land Cruisers Toyota sont des cibles de choix des voleurs de voitures car elles sont réputées pour leur solidité et leur excellente suspension.

C’est la raison pour laquelle j’étais convaincu que ma voiture avait été volée et filait droit sur la frontière, et que je voulais ces barrages routiers au plus vite. Mais le garde du parking me regardait bouche bée: il ne voulait pas croire qu’à Surin, petite ville de province, un étranger puisse se faire ainsi voler sa voiture ; alors, il tergiversait et hésitait toujours à appeler la police. Exaspéré, j’appelai à la radio mon collègue onusien thaïlandais Songcharoen, et le priai d’appeler la police. Mais lui aussi fut dubitatif : étais-je bien sûr de m’être souvenu où j’avais garé ma voiture ? Peut-être un chauffeur du bureau m’avait-il joué un tour et était passé prendre la voiture? Finalement, au lieu d’appeler la police, il préféra passer me prendre et nous filâmes au bureau des Nations Unies; là, nous notâmes que ma voiture bien sûr n’y était pas, et que sa clef de secours était toujours pendue au tableau.

Nous allâmes alors - enfin! - au commissariat de police. Là, je racontai, une fois de plus, mon histoire, à des policiers hilares qui n’en croyaient pas leurs oreilles: un gros Land Cruiser, avec une grande antenne radio, marquée du logo des Nations Unies, et doté d'une plaque minéralogique diplomatique, volé ? Non, ce n’était pas possible, c’était une plaisanterie, on ne verra jamais ça ici! J’insistai pour que - qu’ils y crûrent ou non - des barrages routiers fussent installés sur les routes frontalières sur le champ. Après plus de 20 minutes d’insistance, ils finirent par céder, et le commissaire lança un appel radio général à toutes les stations de police des districts frontaliers.  A peine 15 minutes plus tard, un policier d’une de ces stations situées à quelques centaines de mètres de la frontière cambodgienne,  appela tout essoufflé : « -Nous avons repéré le véhicule, il se dirige à grande vitesse vers la frontière, et nous l’avons pris en chasse… ». Puis, quelques minutes, plus tard «- les voleurs ont fui le véhicule… nous tentons de les appréhender, le véhicule est retrouvé! ». 
Songcharoen et moi fûmes bons pour aller récupérer mon véhicule, vers minuit, en pleine campagne. Les policiers l’avaient laissé sur place tel qu’ils l’avaient trouvé, les portières avant grandes ouvertes témoignant de la fuite précipitée des voleurs. Vers une heure du matin, nous étions de retour à Surin.

Le Land Cruiser volé puis retrouvé
Mission accomplie!
C’était la première voiture onusienne volée dans la région …mais loin d’être la dernière. La mission de paix  de l’APRONUC au Cambodge – très riche en Land Cruisers - offrira encore bien d’autres occasions à ces voleurs qui en étaient si friands.



****** Land Cruiser, ô mon Land Cruiser ! (Acte 2)

Siem Reap, Cambodge – un matin, en sortant de chez moi pour aller travailler, j’eus, une fois de plus, la désagréable expérience de constater que ma voiture avait disparu! Autre mission, autre voiture, il s'agissait là encore d'un Land Cruiser Toyota, cette fois blanc de couleur, marqué du gros "UN" distinctif des véhicules onusiens. Comment  avait-il pu disparaître ainsi? Je l’avais pourtant garé dans la rue juste sous la fenêtre de la petite chambre que je louais, à quelques mètres de là! Et je n’avais pourtant absolument rien entendu. Sans doute les voleurs avaient-ils poussé d’abord le véhicule pour l’éloigner avant de le démarrer. Quoi qu’il en soit, pour la deuxième fois de ma vie je me retrouvai avec mon Land Cruiser volé!
  
J'allai sur le champ voir le Général C.S., alors commandant en chef des forces de police de la province, que je connaissais bien puisque nous avions investigué ensemble des cas sérieux de violations des droits de l’homme[2]. Il m’accueillit courtoisement comme à son habitude et reçut ma plainte. Et puis je lui fis part d’une petite observation que j’avais faite la veille, de ce qui m’avait alors semblé un peu suspect: j’avais en effet noté un coupé Toyota de sport, gris métallisé, aux vitres teintées, qui était passé devant moi roulant très très lentement. Il faut dire que la mission que je remplissais alors comportait tellement de risques et menaces, que j’avais fini par développer un sens de l’observation pour le moins exacerbé, simple reflexe de survie. 
A cette allusion que je lui avais faite, le général eut un petit sourire gêné. « -Bon – dit-il – je crois que je sais à qui nous avons affaire » Comme je le pressai sur ses présomptions, il ajouta un peu embarrassé « -cette voiture que vous avez décrite, je la connais, elle appartient à des hommes du régiment des tankistes qui stationne à l’extérieur de la ville. Ce sont des gens terribles, impliqués dans tout un tas d’affaires… ». Puis il conclut l’entretien : « -bon, nous allons enquêter et je vous tiendrai au courant, mais – ajouta-t-il avec une petite grimace – je ne peux pas vous promettre de pouvoir récupérer la voiture… ».
Quelques semaines plus tard, il m’appela et je le rejoignis au Quartier General de la police. «-Stéphane – me dit-il – j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. Vous aviez bien vu: cette voiture que vous m’avez décrite et que vous avez notée la veille du vol nous a indiqué la bonne piste. Nous avons en effet enquêté dans cette direction, et nous avons retrouvé votre Land Cruiser …à Phnom Penh, au domicile d’un grand général de l’armée! L’APRONUC est au courant – ajouta-t-il - mais compte tenu du niveau de l’officier militaire incriminé, je doute que vous puissiez récupérer votre véhicule très prochainement. » En effet, un mois plus tard ma mission se terminait et la voiture n’avait toujours pas été récupérée. Mission donc incomplètement accomplie dans ce cas-là.

Je ne suis pas très fier de m’être fait voler deux fois mon Land Cruiser ; en revanche, je suis très fier d’avoir, aux deux occasions, réussi du moins à en retrouver la trace, voire le récupérer. Ce serait bien si je pouvais faire pareil avec mes chaussettes et mes cravates!      

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[1] Les voitures volées en Thaïlande puis revendues au Cambodge se reconnaissaient facilement à Phnom Penh: elles avaient le volant à gauche ! Au Cambodge, on roule à droite (vestige de la colonisation française), en Thaïlande, on roule à gauche. 
[2] Parfois même impliquant des policiers de sa province, mais pour lesquelles j’avais obtenu réparation, grâce à cette étroite collaboration que j'entretenais avec le général.

Période UNBRO Surin, Thaïlande (1991-1992) et UNTAC, Siem Reap, Cambodge (1993)  

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